Vu la requête sommaire et le mémoire
complémentaire présentés pour la Société d'Eaux minérales et bains
de mer d'Allevard et la Société des Établissements thermaux de
Brides-les-Bains et Salins-les-Thermes demandant au Conseil d'Etat
d'annuler l'arrêt du 17 avril 1997 par lequel la cour
administrative d'appel de Lyon a annulé, à la demande du ministre
de l'économie et des finances, les jugements du 20 juillet 1995,
par lequel le tribunal administratif de Grenoble avait condamné
l'Etat à leur verser respectivement les sommes de 8 470 370,95 F
et 5 951 058,80 F, plus les intérêts, en réparation
du préjudice subi du fait de l'abattement illégal de 10 %
pratiqué par les arrêtés préfectoraux fixant, en application de
l'article L. 162-38 du code de la sécurité sociale, les tarifs
des soins thermaux pouvant être pratiqués pour les années 1988
à 1992, sur les forfaits et suppléments qui incluent une pratique
dispensée plus de neuf fois au cours d'une cure et rejeté leur
demande indemnitaire ;
Vu les autres pièces du dossier
; le code de la sécurité sociale ; la loi n° 91-647
du 10 juillet 1991 ; le code des tribunaux administratifs
et des cours administratives d'appel ; l'ordonnance n° 45-1708
du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et
la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ; le décret n° 63-766
du 30 juillet 1963 modifié notamment par le décret n° 97-1177
du 24 décembre 1997 ;
Sur la fin de non-recevoir
opposée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :
Considérant que les sociétés requérantes
ont produit les pièces attestant des qualités et pouvoirs des
représentants légaux qui ont formé les pourvois en cassation dont
le Conseil d'Etat est saisi ; qu'ainsi, la fin de non-recevoir
invoquée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
ne peut qu'être écartée ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner
les autres moyens du pourvoi ;
Considérant que la Société d'Eaux
minérales et bains de mer d'Allevard et la Société des Établissements
thermaux de Brides-les-Bains et Salins-les-Thermes se pourvoient
en cassation contre un arrêt de la cour administrative d'appel
de Lyon, en tant que cet arrêt a, sur recours du ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie, annulé deux jugements rendus par
le tribunal administratif de Grenoble, condamnant l'Etat à leur
verser les sommes de 8 470 370,95 F et 5 951 058,80 F,
en réparation du préjudice résultant pour elles de l'application
aux tarifs de certaines catégories de soins thermaux pour les
années 1988, 1989, 1990, 1991 et 1992 d'un abattement illégal
de 10 %, et a rejeté les demandes présentées par les sociétés
requérantes devant le tribunal administratif de Grenoble ;
Considérant qu'il ressort des pièces
des dossiers soumis au juge du fond que la Société d'Eaux minérales
et bains de mer d'Allevard et la Société des Établissements thermaux
de Brides-les-Bains et Salin-les-Thermes, qui exploitent des établissements
thermaux, avaient fait notamment valoir, pour établir la réalité
du préjudice que leur avait causé l'application de l'abattement
susmentionné durant la période litigieuse et demander le rejet
du recours formé par le ministre, que l'imposition dudit abattement
leur avait fait perdre une chance sérieuse de voir les tarifs
de responsabilité, qui sont fixés chaque année par voie d'avenants
à la convention thermale du 26 juin 1972 passés entre
la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés,
d'une part, et les établissements thermaux, d'autre part, augmentés
à due concurrence ; que la cour administrative d'appel n'a
pas répondu à ce moyen ; que l'arrêt attaqué doit, par suite,
être annulé, en tant qu'il a annulé les deux jugements du tribunal
administratif de Grenoble statuant sur les demandes présentées
par les deux sociétés requérantes ;
Considérant qu'aux termes de l'article
11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil
d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction
administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire
au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice
le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il
y a lieu de régler les affaires au fond ;
Sur l'existence d'un préjudice
financier lié à l'intégration d'un abattement illégal dans les
tarifs applicables aux soins thermaux :
Considérant qu'aux termes de l'article
L. 162-38 du code de la sécurité sociale : "Sans préjudice
des dispositions du présent code relatives aux conventions conclues
entre les organismes d'assurance maladie et les professions de
santé, les ministres chargés de l'économie, de la santé et de
la sécurité sociale peuvent fixer par arrêté les prix et les marges
des produits et les prix des prestations de services pris en charge
par les régimes obligatoires de sécurité sociale. Cette fixation
tient compte de l'évolution des charges, des revenus et du volume
d'activité des praticiens ou entreprises concernés" ; qu'en
application de ces dispositions, les ministres compétents ont
fixé pour chacune des années 1988, 1989, 1990, 1991 et 1992 le
taux de hausse applicable aux tarifs des soins dispensés par les
établissements thermaux et ont prévu que les tarifs des forfaits
et suppléments incluant une pratique dispensée plus de neuf fois
au cours d'une cure devraient être minorés d'un abattement de
10 % ; que, saisi d'un recours pour excès de pouvoir
dirigé contre ces décisions, le Conseil d'Etat statuant au contentieux,
par un arrêt en date du 1er juillet 1992, a jugé ces
dernières dispositions illégales et a annulé les décisions attaquées
en tant qu'elles prévoyaient l'abattement de 10 % sans l'assortir
d'aucune justification ; que cette illégalité constitue une
faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique,
pour autant qu'elle entraîne un préjudice direct et certain ;
Considérant que les sociétés requérantes
demandent la réparation du préjudice résultant pour elles de la
prescription, par les ministres compétents, de l'application dudit
abattement de 10 % aux tarifs des forfaits et suppléments
incluant des pratiques dispensées plus de neuf fois au cours d'une
cure pour les années 1988, 1989, 1990, 1991 et 1992 ; qu'elles
font valoir, à titre principal, que les tarifs fixés en application
des dispositions précitées de l'article L. 162-38 du code
de la sécurité sociale, s'agissant de ces catégories de soins,
auraient dû être majorés de 10 % .
Considérant toutefois que le préjudice
dont les sociétés requérantes sont fondées à obtenir réparation
correspond à la différence existant, le cas échéant, entre les
recettes que les établissements thermaux qu'elles exploitent ont
perçues sur la base des tarifs de soins incluant l'abattement
illégal et les recettes que ces établissements auraient perçues
sur la base de tarifs tels qu'ils pouvaient être légalement fixés
par les ministres compétents en application des dispositions précitées
de l'article L. 162-38 du code de la sécurité sociale ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction
que les ministres compétents auraient pu, sans entacher leurs
décisions d'erreur manifeste d'appréciation, compte tenu, d'une
part, de l'évolution des charges, des revenus et du volume d'activité
de l'ensemble des entreprises du secteur thermal, lequel a bénéficié
jusqu'en 1990 d'une hausse régulière et importante du nombre de
curistes, ainsi que de l'impératif de limitation des dépenses
de l'assurance maladie, qui n'est pas étranger à l'objectif que
s'est fixé le législateur en édictant les dispositions de l'article L. 162-38
et, d'autre part, de l'importance des dérogations en matière de
prix autorisées par les décisions portant sur les années 1988,
1989, 1990, 1991 et 1992, retenir pour cette période une grille
de tarifs au niveau national qui aurait assuré aux établissements
thermaux dans leur ensemble des recettes de même montant que celles
qu'ils ont effectivement perçues ; que, par ailleurs, il
n'est pas allégué par les sociétés requérantes que les tarifs
applicables à leurs établissements auraient été fixés à un niveau
trop bas au regard de l'évolution de leurs charges et de leurs
revenus ; que, par suite, l'existence d'un manque à gagner
résultant pour les sociétés requérantes de l'inclusion par les
ministres compétents d'un abattement illégal dans les tarifs des
soins thermaux pour les années 1988 à 1992 n'est pas établie ;
Considérant par ailleurs que les
sociétés requérantes font valoir, à titre subsidiaire, qu'elles
ont perdu, du fait de la prescription par les ministres compétents,
pour les années 1988 à 1992, dudit abattement de 10 %, une
chance sérieuse de voir les tarifs de responsabilité appliqués
par la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs
salariés majorés dans les mêmes proportions ; qu'il résulte
en effet de l'instruction que les tarifs pratiqués par les établissements
thermaux durant la période litigieuse, s'agissant des soins dispensés
aux assurés sociaux, correspondaient, non aux tarifs fixés par
arrêté interministériel en application des dispositions précitées
de l'article L. 162-38 du code de la sécurité sociale, mais
à des tarifs distincts fixés chaque année par voie d'avenants
à la convention susmentionnée conclue en 1972 entre la caisse
nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés et
les établissements thermaux ;
Considérant qu'en vertu de l'article
34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux
de la sécurité sociale ; qu'au nombre de ces principes figure
celui selon lequel le tarif des soins délivrés aux assurés sociaux
peut être fixé par voie de convention passée avec les professionnels
de santé concernés ; que, si un arrêté interministériel du
8 juin 1960, modifié par un arrêté interministériel
du 15 décembre 1969, a prévu que les frais de traitement
dans les établissements thermaux sont réglés sur la base de forfaits
fixés par des conventions entre la caisse nationale de l'assurance
maladie des travailleurs salariés et les établissements thermaux
intéressés, ces dispositions, qui sont dépourvues de toute base
législative, sont entachées d'incompétence ; que, par suite
et en tout état de cause, la caisse nationale de l'assurance maladie
des travailleurs salariés, qui ne disposait pas, par ailleurs,
de compétences tarifaires propres, et les établissements thermaux
ne pouvaient légalement fixer pour la période considérée, par
voie d'accords conclus chaque année, des tarifs supérieurs à ceux
déterminés par les ministres compétents en vertu des dispositions
précitées de l'article L. 162-38 du code de la sécurité sociale ;
qu'ainsi, l'application durant la période litigieuse d'un abattement
illégal de 10 % sur les tarifs de certains soins thermaux
fixés par les ministres compétents sur le fondement des dispositions
précitées de l'article L. 162-38 du code de la sécurité sociale
n'a pu entraîner pour les sociétés requérantes la perte d'une
chance sérieuse de voir réévaluer dans les mêmes proportions les
tarifs de responsabilité pratiqués par la caisse nationale de
l'assurance maladie des travailleurs salariés ;
Considérant qu'il résulte de ce
qui précède que le ministre de l'économie et des finances est
fondé à demander l'annulation des jugements attaqués et le rejet
des demandes présentées devant le tribunal administratif de Grenoble
par la Société d'Eaux minérales et bains de mer d'Allevard et
par la Société des Établissements thermaux de Brides-les-Bains
et Salins-les-Thermes ;
Sur les conclusions tendant
au remboursement des frais exposés au cours de l'instance et non
compris dans les dépens :
Considérant que la Société d'Eaux
minérales et bains de mer d'Allevard et la Société des Établissements
thermaux de Brides-les-Bains et Salins-les-Thermes, qui succombent
dans la présente instance, ne sont pas fondées à demander le remboursement
des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
D E C I D E
:
Article 1er : L'arrêt
de la cour administrative d'appel de Lyon en date du 17 avril 1997
est annulé, en tant qu'il a annulé les deux jugements du tribunal
administratif de Grenoble en date du 20 juillet 1995
statuant sur les demandes présentées par la Société d'Eaux minérales
et bains de mer d'Allevard et la Société des Établissements thermaux
de Brides-les-Bains et Salins-les-Thermes.
Article 2 : Les
jugements en date du 20 juillet 1995 du tribunal administratif
de Grenoble sont annulés.
Article
3 : Les demandes présentées respectivement par la Société
d'Eaux minérales et bains de mer d'Allevard et par la Société
des Établissements thermaux de Brides-les-Bains et Salins-les-Thermes
devant le tribunal administratif de Grenoble et le surplus de
leurs conclusions devant le Conseil d'Etat sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée
à la Société d'Eaux minérales et bains de mer d'Allevard, à la
Société des Établissements thermaux de Brides-les-Bains et Salins-les-Thermes
et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
|